Recyclage de l’eau pour des usages urbains : le projet de décret en consultation

Face à la raréfaction des ressources en eau et aux défis environnementaux croissants, le recyclage des eaux usées traitées s’impose comme une solution pour préserver la ressource. En remplaçant l’eau potable par des eaux recyclées pour des usages urbains – tels que le nettoyage des voiries, l’hydrocurage des réseaux d’assainissement ou encore l’entretien des infrastructures publiquesles collectivités peuvent réduire leur empreinte hydrique

C’est dans cette optique et dans la lignée du plan Eau annoncé en 2023 que le gouvernement a soumis à consultation un projet de décret visant à encadrer et simplifier la réutilisation des eaux usées traitées pour la propreté urbaine

Ce texte précise les conditions de production, de stockage, de distribution et d’utilisation de ces eaux ainsi que le partage de responsabilité entre les différents acteurs de la chaîne de recyclage. Soulignons qu’il s’agit encore d’un projet en discussion et non d’une réglementation définitivement adoptée.

Quels sont les objectifs de ce projet de décret ? Quelles opportunités offre-t-il aux collectivités et aux professionnels de la gestion de l’eau et de l’assainissement  ? Décryptage complet dans cet article. Suivez le guide !

Contexte réglementaire et ambitions du décret

Un projet de décret dans la continuité du plan Eau 

Le projet d’arrêté ministériel soumis à consultation s’inscrit dans la dynamique du Plan Eau, une stratégie ambitieuse lancée par le gouvernement pour répondre aux défis de la gestion de l’eau en France. Ce plan, présenté le 30 mars 2023 par le Président de la République, vise à renforcer la résilience des territoires face au changement climatique en accélérant la transition vers une gestion plus durable et optimisée des ressources en eau.

L’un des objectifs majeurs du Plan Eau est la massification de l’usage des eaux non conventionnelles (eaux usées traitées, eaux de pluie, eaux grises…). En ce sens, il fixe un cap clair : 1 000 projets de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) à l’horizon 2027.

Objectif du projet de décret : établir un cadre commun

Le cadre réglementaire actuel repose notamment sur le décret n° 2023-835 du 29 août 2023, qui définit les usages et les conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées. Ce décret, en intégrant l’article R.211-128 dans le Code de l’environnement, a établi les bases pour la réutilisation des eaux usées traitées en précisant le processus d’autorisation pour divers usages, y compris ceux liés à la propreté urbaine. Toutefois, il ne définit pas de manière suffisamment claire les standards de qualité et les modalités de suivi spécifiques aux usages urbains.

C’est dans ce contexte que le projet d’arrêté en consultation ambitionne de fournir un cadre clair et harmonisé pour la réutilisation des eaux usées traitées en milieu urbain. Ses objectifs se déclinent en deux axes majeurs :

  • Clarifier et simplifier les procédures réglementaires :
    Le projet prévoit d’apporter des précisions techniques et de standardiser les critères de qualité. Cette harmonisation vise à faciliter l’instruction des dossiers et à accélérer la mise en œuvre des projets de réutilisation.
  • Garantir la sécurité sanitaire des opérateurs et passants :
    En encadrant strictement les conditions de production, de stockage, de distribution et d’utilisation des eaux usées traitées, le projet vise à renforcer la protection de la santé publique et à assurer la sécurité des usagers des eaux recyclées.

Ce projet de décret constitue ainsi une évolution naturelle du cadre existant, en offrant une réponse claire et structurée aux enjeux de valorisation des eaux non conventionnelles dans une logique de transition écologique. 

réutilisation eau nouveau décret 2023
Recyclage des eaux usées pour des usages urbains

Recyclage de l’eau pour des usages urbains : quels bénéfices ?

Une réponse aux enjeux de résilience

Face aux incertitudes climatiques et aux périodes de sécheresse récurrentes, la réutilisation des eaux usées traitées s’impose comme un levier clés, notamment dans les zones littorales, pour renforcer la résilience des territoires. En diversifiant les sources d’approvisionnement en eau, cette approche peut permettre de mieux anticiper et gérer les crises hydriques, mais également de garantir la continuité des services publics en période de crise.

Les avantages du recyclage de l’eau

Le recyclage de l’eau pour les usages urbains présente de nombreux avantages et s’inscrit pleinement dans une démarche de développement durable. En mobilisant des eaux non conventionnelles, les collectivités peuvent réduire leur dépendance à l’eau potable et renforcer leur résilience face aux périodes de sécheresse. Voici les principaux bénéfices :

  • Réduction de la consommation d’eau potable : En substituant l’eau potable par des eaux usées traitées lors d’opérations de nettoyage urbain, les collectivités préservent cette ressource précieuse, destinée avant tout à la consommation humaine. Cette stratégie favorise une gestion plus raisonnée de l’eau, notamment dans les zones à forte pression hydrique.
  • Diminution de l’impact environnemental : La valorisation des eaux usées traitées contribue à réduire les rejets d’eaux non traitées dans l’environnement et favorise une approche circulaire du petit cycle de l’eau. Cette démarche est particulièrement pertinente dans les zones littorales, où l’eau douce est souvent rejetée en mer.
  • Résilience des services publics en période de sécheresse : En diversifiant les sources d’approvisionnement en eau, le recyclage offre aux collectivités une meilleure capacité d’anticipation et de gestion des crises hydriques. Cela assure la continuité des services publics essentiels même lors de périodes de sécheresse prolongée.

La réutilisation des eaux usées traitées fait partie des leviers d’adaptation au changement climatique. Toutefois, cette solution doit être intégrée dans une stratégie globale de sobriété hydrique, adaptée aux spécificités de chaque territoire, afin d’éviter tout effet rebond sur l’utilisation de la ressource en eau.

Les dispositions pour l’utilisation d’eaux recyclées dans des usages urbains

Les usages autorisés

Le projet prévoit l’autorisation d’utiliser les eaux usées traitées pour divers types d’opérations de nettoyage en milieu urbain, telles que :

  • Nettoyage de voirie par balayeuse
    Le projet distingue deux modes d’utilisation selon l’équipement employé :
    • Sans lance d’aspersion, l’usage est autorisé, sous réserve de respecter un niveau de qualité sanitaire optimal.
    • Avec lance d’aspersion, l’usage est soumis à des contraintes plus strictes, notamment en raison du risque de dispersion d’aérosols.
  • Nettoyage des accotements et des ouvrages d’art
    Ces opérations nécessitent un traitement spécifique des eaux usées afin de garantir une propreté sans compromettre la qualité de l’eau.
  • Nettoyage de quais de déchetterie, hydrocurage de réseaux d’assainissement, opérations sur installations d’assainissement non collective, et nettoyage de bennes à ordures. Ces usages, bien que ne nécessitant pas de traitements complémentaires, restent soumis à un cadre précis pour éviter tout risque sanitaire. Aussi, le dossier de demande d’autorisation est simplifié pour cette catégorie d’usages.

Les conditions de qualité et de surveillance

Pour que l’utilisation des eaux usées traitées soit autorisée, le porteur de projet doit démontrer que la qualité de l’eau est compatible avec les usages envisagés. Parmi les principales exigences, on retrouve :

  • Des niveaux de qualité sanitaire (A+ et A) adaptés aux usages:
    • Niveau A+ : requis pour les usages les plus sensibles, comme le nettoyage de voirie avec lance d’aspersion ou le nettoyage d’ouvrages d’art (sous réserve de fermer l’accès au public pendant l’opération).
    • Niveau A : autorisé pour des usages moins exposés à la formation d’aérosols, comme le nettoyage de voirie sans lance d’aspersion.
  • Des limites de qualité strictes : 
    • Matières en suspension (MES) et DBO5 : ≤ 10 mg/L
    • Escherichia coli : < 1 UFC/100 mL (A+) ou ≤ 10 UFC/100 mL (A)
    • Coliphages et Clostridium perfringens : ≤ 10 UFP/100 mL
    • Turbidité : ≤ 5 NTU
    • Legionella pneumophila : < 1 000 UFC/L en cas de risque de formation d’aérosols

Ces valeurs reprennent les paramètres et limites de qualité de l’Arrêté du 14 décembre 2023 relatif à l’arrosage d’espaces verts avec des EUT à l’exception du niveau A+ qui est une nouvelle classe d’eau recyclée (plus restrictive sur la teneur en E.Coli fixée à <1 au lieu de < 10 UFC.100 ml).

  • Une surveillance rigoureuse de la qualité :
    • Analyses de routine au point de sortie de la station de traitement: Fréquence hebdomadaire pour la plupart des paramètres microbiologiques (E. coli, coliphages, Clostridium perfringens) et physico-chimiques (MES, DBO5, turbidité).
    • Contrôles périodiques de performance de l’installation : Ces vérifications, qui comparent l’eau brute entrante et l’eau traitée pour évaluer l’efficacité épuratoire, sont effectuées lors de la mise en service puis tous les 2 ans.

Les mesures préventives et la gestion des risques

Le projet de décret insiste également sur la nécessité de mettre en place une démarche d’évaluation et de gestion des risques. Cette démarche permet :

  • D’identifier les risques potentiels liés à l’utilisation des eaux usées traitées (risques sanitaires, risques environnementaux, etc.).
  • De définir des mesures préventives adaptées, telles que l’installation de panneaux d’information sur les engins de nettoyage, la mise en place de barrières physiques dans les zones sensibles, ou encore la planification des opérations de nettoyage en dehors des heures de forte affluence.
  • D’assurer une gestion rigoureuse de la traçabilité et de la conformité : mise en place d’un carnet sanitaire transmis annuellement au préfet.
  • De mettre en place un programme de surveillance spécifique, incluant des analyses régulières de paramètres microbiologiques et physico-chimiques identifiés dans l’analyse de risques comme certains virus (norovirus, rotavirus, …) et contaminants chimiques (avec des analyses mensuelles lors de la première année, ajustables selon le risque identifié).
Contrôle sanitaire des eaux recyclées IAA
réutilisation eau agroalimentaire qualité

Les qualités d’eau du projet de décret : mise en perspective

À la lecture du tableau comparatif ci-dessous, on constate que le projet de décret propose, pour le nettoyage urbain, des seuils particulièrement exigeants en matière de Escherichia coli :

Usage et classe de qualité E. coli (UFC/100 mL) Entérocoques (UFC/100 mL) Sources réglementaires Exposition / Contact
Nettoyage urbain (A+) < 1 - Projet de décret en cours de consultation Risque d’aérosols modéré
(contact passants et opérateurs)
Nettoyage urbain (A) ≤ 10 - Projet de décret en cours de consultation Risque d’aérosols modéré
(contact passants et opérateurs)
Chasse d’eau domestique (A+) 0 0 Arrêté du 12 Juillet 2024 - EICH Contact quasi nul
Eau de baignade (excellente qualité) ≤ 500 ≤ 200 Directive 2006/7/CE Contact direct et ingestion possible

Comme on peut le voir, les exigences pour le nettoyage urbain (A+ et A) sont particulièrement strictes en E. coli par rapport à celles de leau de baignade d’excellente qualité, qui tolère jusqu’à 500 UFC/100 mL. À l’inverse, la chasse d’eau domestique (A+) impose un niveau zéro (0/0) en E. coli et entérocoques, alors même que le contact direct avec l’usager est quasiment nul.

Cette comparaison met en évidence une hiérarchie des qualités d’eau parfois contre-intuitive : pourquoi exiger une qualité si élevée pour le nettoyage urbain, alors que la baignade, qui implique un contact plus important, admet des seuils plus élevés ? Il en va de même pour la chasse d’eau, soumise à une norme encore plus stricte alors que le risque d’exposition humaine reste faible.

Aussi, pour le nettoyage urbain, la question se pose surtout de savoir à quel moment la qualité de l’eau est réellement déterminante. Même si l’eau répond initialement à des exigences élevées, elle peut se charger en polluants une fois projetée sur la chaussée (déchets, résidus, etc.). C’est donc autant la qualité de l’eau avant le nettoyage que celle résultant du passage dans le caniveau qui pourrait présenter un risque pour les passants, notamment sous forme de microgouttelettes ou d’aérosols.

recycler eau qualité
arrosage espaces verts eaux usées

Vers une modification ou une validation définitive du projet de décret ?

L’adoption du projet de décret actuellement en consultation marquerait une avancée certaine vers une gestion circulaire de l’eau en milieu urbain. En définissant des standards clairs et en précisant les exigences techniques, ce texte vise à structurer et sécuriser le cadre réglementaire de la réutilisation des eaux usées traitées en milieu urbain.

Toutefois, bien que cette avancée soit positive, elle s’accompagne de contraintes importantes. Les exigences sanitaires strictes, notamment en matière de qualité de l’eau et de suivi régulier (analyses hebdomadaires), soulèvent des interrogations quant à leur impact sur la faisabilité et l’accessibilité des projets. Alors que l’objectif du décret est de lever les freins réglementaires, la mise en œuvre de seuils de qualité élevés, associés à des obligations de surveillance rigoureuses, pourrait paradoxalement freiner le développement de ces initiatives. Ces exigences, si elles ne sont pas adaptées aux réalités opérationnelles, risquent d’augmenter les coûts d’exploitation et d’entraîner une complexité administrative supplémentaire pour les collectivités et les exploitants.

D’autant plus que la recontamination sur le terrain (notamment lors du nettoyage urbain) est difficilement maîtrisable. L’eau usée traitée, même conforme en sortie de station, peut être exposée à des contaminants une fois projetée à haute pression sur la chaussée. Cet aspect pose la question de la pertinence de normes aussi strictes en amont si la qualité finale de l’eau peut être altérée lors de l’usage.

La consultation publique est ouverte du 25 février au 24 mars 2025. Votre avis est essentiel pour que ce décret reflète les enjeux techniques et économiques du terrain. Exprimez-vous et contribuez à l’évolution du cadre réglementaire : Participer à la consultation

Conclusion

Le projet de décret en consultation constitue une avancée importante pour structurer et encadrer la réutilisation des eaux usées traitées dans les espaces urbains. En définissant des standards de qualité précis et en clarifiant les exigences techniques, il apporte un cadre réglementaire attendu de longue date par les acteurs du secteur. Toutefois, son application doit être pensée de manière pragmatique afin de ne pas freiner l’innovation et la mise en place de solutions viables.

Les normes sanitaires strictes, bien que justifiées par des impératifs de protection de la santé publique, doivent être mises en perspective avec les réalités du terrain. Il est impératif d’analyser l’ensemble du cycle de réutilisation – de la production de l’eau traitée à son utilisation effective – afin d’identifier les points critiques et les mesures de prévention adaptées. Sans une approche équilibrée, il existe un risque que ces exigences deviennent un frein plutôt qu’un levier de développement pour la réutilisation des eaux en milieu urbain.

Si vous êtes concerné par ces enjeux, que vous souhaitiez développer un projet ou approfondir votre compréhension du cadre réglementaire, nous vous invitons à nous contacter. Nos formations dédiées vous permettront de décrypter les évolutions législatives et d’anticiper les exigences techniques pour la mise en œuvre de projets conformes et performants.

 Contactez-nous dès aujourd’hui pour bénéficier de notre expertise et accompagner votre transition vers une gestion optimisée et durable de l’eau !

Vous souhaitez en savoir plus sur la réglementation ?

Questions fréquentes

Le recyclage de l’eau en milieu urbain consiste à réutiliser des eaux usées traitées pour des applications non potables comme le nettoyage des voiries, l’irrigation des espaces verts ou l’hydrocurage des réseaux d’assainissement. Cette pratique permet d’économiser l’eau potable tout en réduisant les rejets dans l’environnement.

Le projet vise à encadrer la réutilisation des eaux usées traitées en fixant des normes de qualité et des procédures de surveillance de la qualité de l'eau. Il a pour but d’assurer la sécurité sanitaire et de faciliter le développement de projets de recyclage de l’eau.

Les collectivités sont directement concernées par cette réglementation, car elle leur permet de mettre en place des systèmes de réutilisation des eaux usées traitées pour des usages urbains. En structurant le cadre réglementaire, le décret leur offre une plus grande visibilité et sécurité dans le déploiement de ces solutions.

Les exigences sanitaires très strictes et la complexité des contrôles imposés pourraient freiner le développement des projets. En effet, la surveillance accrue et les seuils de qualité élevés risquent d’augmenter les coûts de mise en œuvre et d’exploitation pour les collectivités et entreprises concernées.

Le projet de décret définit deux niveaux de qualité sanitaire pour les eaux usées traitées :

  • Qualité A+ : destinée aux usages les plus sensibles, tels que le nettoyage de voirie avec lance d’aspersion ou l’entretien d’ouvrages d’art, sous réserve de restrictions d’accès pendant les opérations. Cette qualité impose des seuils très stricts en matière de contamination microbiologique.
  • Qualité A : adaptée aux usages moins exposés à la formation d’aérosols, comme le nettoyage de voirie sans lance d’aspersion. Cette qualité présente des critères légèrement moins contraignants mais reste soumise à des contrôles rigoureux.

Ces distinctions permettent d’adapter l’usage des eaux recyclées en fonction des risques sanitaires et des contraintes techniques propres à chaque activité.

 

Update

News & Actualités

Douche en circuit fermé Flow Loop

Flow Loop, la douche en circuit fermé arrive en France

RéutilisationEau.fr devient l’ambassadeur officiel de Flow Loop dans le sud de la France, assurant la vente et l’accompagnement des clients. Grâce à notre expertise locale et au soutien technique de Flow Loop, nous offrons aux professionnels et particuliers une solution clé en main pour réduire leur empreinte hydrique.

En savoir plus »

Envie de redonner à l'eau sa vraie valeur ?

Discutons de votre projet et vos besoins